On dirait presque un gros mot en français. En anglais, on entend l’aspect positif du mot, son côté "routine", également péjoratif en français, le rendez-vous avec soi-même que l’on s’octroie, dont j’aimerais parler ici.
Une discipline, quelle qu’elle soit en réalité, implique une pratique pendant un temps que l’on s’accorde. Depuis 10 ans, j’ai comme discipline la pratique quotidienne de postures de yoga, de respiration abdominale bouche fermée le plus souvent possible, pour voir qui je suis quand je ne suis pas stressée, pour prendre soin de mon corps, prendre un temps de pause et d’écoute pour me recentrer et être présente à moi-même, à ma journée, à ma journey (mon séjour sur terre), à ce qu’il se passe véritablement en moi, sans être happée par les dix mille sollicitations du quotidien.
Ces moments sont ma façon de poser mon attention en conscience, de reprendre le pouvoir sur mon attention, et d’observer l’observatrice en moi.
"Chaque âme est et devient ce qu'elle contemple.", une citation que j'adore de Plotin
Un acte militant (héhé) à l’heure de l’économie de l’attention (qui est à la fois un marché de l’attention, et un contrôle (extérieur) de l’attention) qui cherche à s’emparer de cette ressource devenue rare comme d’une marchandise négociable.
Le temps que l’on accorde à son cerveau lui donne de la disponibilité. Pour les choses importantes, celles qui comptent vraiment, loin des injonctions inutiles du système capitaliste.
Par ailleurs, j’aime toujours rappeler que :
"Le système nous veut triste, il nous faut être joyeux pour lui résister", comme disait Deleuze.
Sortir du système de stress est personnellement et collectivement un acte important.
Ma pratique est en effet aussi le moment pour la (malheureusement) grande stressée que je suis de hacker mon système de stress, d’étirer mon nerf vague, mon psoas, d’assouplir mon diaphragme (des posts arrivent à ce sujet) et d’ainsi me sentir connectée à moi, aux autres, et en sécurité.
Le corps a une intelligence et le temps de la pratique lui offre l’espace pour se révéler et exprimer son lot de surprises et d’immense sagesse encore insoupçonnée.
Après une pratique, je me sens heureuse, active, intéressée par ce qui se passe autour de moi, sans parler de ma santé qui s’améliore, de ma pression artérielle normale, de ma bonne digestion, de ma qualité de sommeil et de ce sentiment de bien-être bien plus qu’appréciable.
C’est dans cet état que je peux visualiser la vie que je veux, avec ce niveau de présence véritable.
Le yoga, c’est la cessation des fluctuations du mental, je suis dans le moment présent, parfois sans penser du tout, et ma santé émotionnelle, ma santé mentale instantanément m’en remercient.
Cela demande un grand effort que de faire une pause dans nos vies rapides.
Il s’agit pourtant aussi d’un pilier de la discipline morale du yoga, tapas, et elle est aussi décrite comme un effort conscient pour donner un sens à la vie, l’explorer, l’illuminer.
L’effort est d’ailleurs un concept fondamental pour le philosophe de la joie par excellence, Spinoza, qui décrit le conatus comme l’effort de persévérer dans son être, que je rapproche naturellement de tapas, puisque le conatus donne lui aussi à son tour une puissance d’agir et de sentir.
L’effort est la force d’exister, et la capacité d’augmenter cette force en même temps.
Par ailleurs, l'un des textes fondamentaux de la philosophie du Yoga, la Bhagavad-Gita parle énormément de l'importance immense du dépassement de soi.
Enfin, à l’heure où l’homme recherche de plus en plus de plaisir(s), et où il confond « allègrement » jouissance et absence de tensions, il se rajoute en réalité des frustrations. Or, d’après les Epicuriens eux-mêmes, c’est cette deuxième partie qui définit le bonheur : un état au repos de plaisir, non une quête. Le bonheur est une absence de tensions pour laquelle il faut agir pour ne pas non plus créer de frustrations. Aller dans le corps, dans le core, le noyau, est pour moi la solution la plus proche et la plus évidente pour écouter vraiment et répondre aux besoins du corps.
C’est la vérité qui met le bonheur à notre portée. L’alignement et l’étirement, la place de la respiration et la cessation des fluctuations du mental, évidemment, constituent aussi une voie royale pour ne pas collectionner les tensions.
J’ai choisi la voie du yoga car sa philosophie et la pratique des postures - dont je reconnais toujours plus l’aspect thérapeutique avec le temps qui passe dans ma pratique régulière qui persévère, et la richesse des formations que je continue de suivre - donnent du sens et de la beauté à ma vie, et c’est pourquoi je partage ces connaissances, d’une manière adaptée à nos vies modernes.
Des moments de lien, d’écoute, où l’on crée de la place et où l’on choisit de se rencontrer soi, de faire se rencontrer notre corps avec notre esprit, et de rencontrer les autres personnes autour de nous.
Cette voie m’apporte plus de responsabilité, de force, de joie, et d’honnêteté face à moi-même.
Elle ne fera jamais de moi une personne parfaite, mais elle me permet d’être moi-même et de me connaitre et de m’accepter profondément.
Je tiens à dire que c’est clairement le yoga qui m’a appris la douceur et la véritable présence, et mon envie, mon rêve le plus fort, est que les yogis incarnent véritablement cet enseignement, cette douceur et cette présence, sur le tapis, et en dehors du tapis.
Je pense que le véritable moyen de respecter une discipline est de s’accorder un espace-temps, et donc de prendre rendez-vous avec soi.
L'écrire dans son agenda et aller au rendez-vous invariablement.
Si la discipline que l’on choisit est le yoga (asanas (postures, pour le côté santé et hacking du système de stress), pranayama (la respiration, avec tous les cadeaux ineffables qu’elle offre), et dharana (la concentration, ne se concentrer par exemple que sur le souffle, pour peut-être finir un jour par méditer, ne plus penser du tout), avoir une discipline le matin et/ou le soir chez soi est une idée.
Je fais personnellement tous les jours pratiquement les mêmes enchaînements, avec des postures plutôt simples en réalité, en me concentrant sur différents points de soutien dans ma posture, et chaque jour, je suis différente, donc chaque jour, j’apprends.
"L'acte est vierge, même répété." disait très justement René Char.
On peut cela dit choisir toute pratique car tout est enrichissant.
On apprend en pratiquant, et on apprend également une humilité importante avec la pratique.
On reste élève toute sa vie, surtout en tant que Maitre Yogi.
Je dirai ici également que les cours collectifs (je n’en proposerais pas si je n’y croyais pas) sont importants.
Si on parle d’étymologie, discipline et disciple ont les mêmes racines.
La relation de professeur.e-élève est capitale en yoga, le professeur restera toujours un élève, et son élève, un maitre pour lui.
Avoir un professeur est selon moi capital parce que vivant, et cela éveille le processus en soi.
En fin de compte, la discipline est une forme de liberté que l'on s'accorde. C'est un engagement envers soi-même, une promesse de se reconnecter à son être profond et de nourrir son bien-être intérieur. En cultivant cette discipline, que ce soit à travers le yoga ou une autre pratique, nous créons un espace sacré pour écouter notre corps, apaiser notre esprit, et retrouver un équilibre au milieu du tumulte quotidien. C'est un acte d'amour et de respect envers soi-même, un rappel que dans ce monde en constante agitation, il est essentiel de se poser, de respirer, et de simplement être. Car c'est dans ces moments de présence et de conscience que nous trouvons la paix et la véritable joie de vivre.